Je n’ai pas beaucoup avancé sur l’écriture des Portes de Boistrel cette semaine, mais j’ai fini d’en relire et annoter le premier tiers.
Avec le recul, l’intrigue sera plus complexe que prévu, avec l’ajout d’un arc narratif complet, mais nécessaire à la conclusion de l’intrigue. (J’ai vraiment très hâte de commencer à travailler dessus !) Du coup, je n’ai absolument pas commencé à rédiger le synopsis de travail du deuxième tiers. Je suis un peu malade, en ce moment, et j’ai besoin d’avoir les idées bien claires à ce stade du processus créatif. Si je me plante maintenant, ça risque de se répercuter sur l’écriture du premier jet. Et si je me rends compte de mes erreurs à temps, eh bien, il faudra que je réécrive des petits bouts de synopsis de travail avant de pouvoir écrire ce fameux deuxième tiers.
Pour l’extrait de la semaine, je vous laisse avec Lili Jacobs, nouvelle institutrice au village. (Et vous allez voir qu’elle ne passe pas une très bonne nuit.)
Dès son plus jeune âge, sa mère avait comme cadenassé toute tentative d’évasion. Étouffé dans l’œuf tout marchandage affectif. Lili était à elle comme l’on possédait une nouvelle robe. Pas de jeux sans la surveillance de sa mère. Pas de devoirs sans l’approbation de sa mère avant d’inscrire la réponse dans le cahier. Pas de sorties au parc sans la présence de sa mère, ses bavardages insignifiants et ses remarques déplacées. Lili pensait alors que tout était normal. Plus tard, elle se convainquit que tout s’arrangerait dès qu’elle obtiendrait son diplôme. Puis sa mère était tombée malade. Lili avait jonglé entre l’enseignement, la route pénible sur son vélo, chaque jour, et les devoirs d’école pendant… trop longtemps. Elle avait fini par s’installer à nouveau chez sa mère, économisant sur le loyer pour… Elle ne le savait pas encore, à l’époque. Cet argent lui avait payé son ticket de bateau et les premières semaines de loyer en attendant de reprendre un poste qui serait vacant dès la rentrée.
Aujourd’hui, huit mois plus tard, elle avait sa propre maison – vivre au bout du monde avait ses avantages –, ainsi que des habitudes toutes neuves. Parfois, la voix de sa mère remontait des tréfonds de ses souvenirs en lui donnant l’impression d’être encore si vive, si présente. Lili la sommait de se taire, et c’était tout. Pas ce soir. Pas quand elle tremblait d’inquiétude.
Lili crut d’abord rêver éveillée. Presque éveillée, car sa tête avait ballotté sur sa poitrine. Assurément, elle était en train de s’endormir, et puis quelque chose, dans la nuit et la tempête, l’avait tirée de ce sommeil naissant. Un bruit, sans qu’elle pût définir lequel. Un bruit qui avait surpassé celui, insistant, du vent et lourd de la pluie. Les arbres ployaient désormais sous la puissance des rafales. La pluie tombait presque à l’horizontale, balayée sous les éclairs qui se rapprochaient. Lili, remettant ses idées au clair, jugea que l’orage s’était assez rapproché pour qu’un coup de tonnerre la réveillât.
Elle se massa la nuque, ankylosée par la posture et par l’inaction. Elle s’apprêtait à rallumer tout de même une chandelle afin de se préparer un thé quand elle les vit : deux rangées d’enfants. Deux rangées bien serrées, sous l’averse et les éclairs. Ça ne chahutait pas. Ça marchait même proprement sans chercher à se détacher du groupe. On ne sautait pas dans les flaques non plus. Rien à voir avec les garnements auxquels enseignait Lili, pensa-t-elle d’abord. Elle réagit ensuite. Quelque chose clochait. Ces enfants n’auraient pas dû se trouver là. L’heure de la classe était largement passée. Il faisait nuit. Surtout, il y avait cette tempête qui grondait. Quels parents avaient pu laisser leur progéniture sortir par un temps pareil ? Les enfants s’étaient-ils éclipsés ? Et pourquoi faisaient-ils mine de se rendre à l’école ?
Lili voulut sortir pour leur crier de rentrer chez eux. Elle s’apprêtait déjà, à la porte, quand la voix de sa mère l’en dissuada. Elle ne souhaitait pas attraper la mort, et une pluie pareille ne pardonnait pas. Mais ces enfants… Qu’adviendrait-il d’eux s’ils restaient dessous plus longtemps ? Tant pis pour la raison. Lili enfila un châle et sortit. Une fois dehors, plus personne. Les silhouettes s’étaient volatilisées.
Aude Réco
Je suis autrice dans les genres de l’imaginaire à destination des adultes et des jeunes adultes.
Je suis adepte de méli-mélo temporel, de mondes aux contrées mystérieuses et, surtout, de maisons hantées et d’histoires de fantômes.
J’aime tout ce qui touche au passé et à la mémoire des lieux, aux secrets de famille et vieilles malles poussiéreuses pleines de souvenirs.