Dans cet extrait des Murmureurs, la question du nuage de lait n’est, évidemment, pas anodine. Mais je vous laisse en juger par vous-mêmes.
« Matthew hésita à s’engager dans l’allée broussailleuse qui menait à l’habitation vétuste, devant lui. Les intempéries commençaient à avoir raison des joints entre les briques blanchies au fil du temps. Les boiseries pourrissaient, les vitres nécessitaient un bon coup de nettoyage et les rideaux autrefois blancs affichaient un gris clair peu attrayant. Des orties résistantes s’entortillaient dans les soupiraux rouillés de la cave et de là émanait une odeur piquante qui prenait presque aux tripes. Si certains curieux s’aventuraient dans les parages, ils certifieraient à coup sûr qu’un cadavre pourrissait là-dedans, mais Nora n’avait rien de méchant. Elle délirait avec ses voix – ou pas, finalement – et passait le plus clair de ses journées à se promener, si l’on pouvait qualifier ses déambulations comme telles.
Elle se fichait pas mal de ce que pensaient les autres, de ce qu’ils baragouinaient dans son dos et puisque personne ne se risquait jusqu’à son domicile, elle ne fournissait aucun effort de propreté. Aussi loin que remontaient les souvenirs de Matthew à son propos, il l’avait toujours connue sale et souillon, même quand des touristes arpentaient encore l’île et que le commerce de la pêche permettait à presque toute la population insulaire de vivre.
Matthew se décida après de longues minutes et emprunta l’allée de dalles soulevées par les racines d’un pommier improductif depuis des lustres. La sonnette de la porte n’avait jamais fonctionné, alors il utilisa le heurtoir en forme de lion dont la peinture dorée laissait place à un vert noirci, couleur mousse.
Nora ouvrit si vite, comme si elle attendait une visite, que l’hôtelier ne put réprimer une expression de surprise. Le battant bloqua un peu et Matthew aida la vieille demoiselle à le décoincer. Un pourtour de poussière encadrait le paillasson. La faible lumière du dehors déposait des rais de particules brillantes sur le mobilier.
L’entrée donnait sur le séjour, où un buffet surchargé de bibelots trônait contre le mur du fond, encadré d’assiettes de collections accrochées. Une plante dépérissait au milieu de la table de salle à manger, sur un napperon aussi malpropre que les rideaux. Nora en brodait un autre, à en croire le carré de tissu mal plié sur le guéridon et le cercle à broder posé dessus, à côté d’un fauteuil marqué de l’empreinte de son postérieur et celle de son dos. Elle invita Matthew à prendre place sur le second siège, installé de l’autre côté de la table basse. Elle y avait disposé deux tasses de thé fumant accompagnées de cuillères, un sucrier et un pot à lait, ce qui indiqua à Matthew que quelqu’un devait vraiment venir. Le silence qui régnait dans la maison – et qui lui aurait paru agréable ailleurs – lui pesait un peu et il se mit en tête de le briser une bonne fois pour toutes.
— Je ne voudrais pas vous déranger, s’excusa-t-il. Je vois que vous attendiez quelqu’un.
— En effet, confirma-t-elle avec un sourire. Vous.
Elle attira vers elle le plateau avec le service à thé.
— Un nuage de lait ? proposa-t-elle. »
Les Murmureurs est disponible sur Books on Demand, Amazon, Kobo, Fnac, Decitre… En papier ou en numérique, n’hésitez pas à vous le procurer pour frissonner sur l’île de Taily Fair !