Le 12 octobre, je vous annonçais avoir atteint les 40 000 mots sur Les Portes de Boistrel, mon premier roman gothique. Je vous disais aussi en être à environ la moitié du bestiau, sans doute un peu moins, ce qui s’est confirmé avec le passage aux 50 000 mots.
J’en suis actuellement à 55 005 mots et j’ai l’impression qu’il me reste encore tellement à écrire !
Ceci dit, après avoir levé le voile sur un premier mystère, je m’emploie à résoudre, cette fois, le meurtre auquel assiste læ lecteur·rice dans la scène d’ouverture du roman.
À l’heure où je rédige ces lignes, j’ai pris pas mal de notes dans mon journal afin de mettre à plat les tensions naissantes. J’ai aussi réfléchi à la meilleure manière de les entretenir sans que le suspense s’éternise et sans que l’ensemble devienne lourd ou trop compliqué.
Je pense néanmoins que ce gros arc marquera le début de la fin de Boistrel, puisqu’après ça, il ne me restera qu’à raconter l’histoire des voix qu’entendent certains de mes personnages.
On frappa à la porte, en bas. Un grand coup. Une main sur la poitrine parce qu’elle avait sursauté, Edna adressa un regard à son père. Il avait les yeux fermés et respirait normalement. Elle estima pouvoir le laisser seul un instant – quelqu’un nécessitait peut-être son assistance à cause de la tempête, et elle s’en voudrait de ne pas l’aider. Elle redescendit aussi vite qu’elle était montée, passa entre les rayonnages en toute hâte, mais le temps qu’elle ouvrît la porte, il n’y avait plus personne.
Un piège ? songea-t-elle.
Elle s’empressa de refermer, tourna la clé dans la serrure, ainsi que les deux verrous. Puis, rassurée, elle guetta une éventuelle silhouette par la porte vitrée, le store pincé entre ses doigts tremblants.
Toute personne saine d’esprit aurait pensé à n’importe quoi d’autre : une branche tombée, une tuile qui s’était envolée de sa toiture…
Ça ne fait pas ce bruit, une tuile qui se brise.
Quelqu’un qui frappe à une porte vitrée, par contre…
Il y avait quelqu’un, là, dehors. Avait eu quelqu’un. Il était sans doute reparti, à moins de vouloir finir trempé comme une soupe. On avait tendu un piège à Edna, elle en était persuadée. On en voulait à son stock de denrées alimentaires, mais comme elle avait refermé, vive d’esprit, on était reparti sans demander son reste. La peur égarait les gens. Qui que put être celui ou celle à avoir frappé à sa porte ce soir, Edna ne lui en voulut pas.
Elle reprit le nettoyage de son sol, à côté de la caisse. Elle récupéra son éponge dans le seau, l’essora et se remit à frotter comme si elle essayait de gratter les idées noires qui parasitaient son éternelle bonne humeur.
Elle n’était pas prête pour des adieux avec son père. Pas plus qu’elle n’était prête à affronter sa maladie. Pour la première fois de sa vie, elle se sentait horriblement seule. Son père l’avait toujours épaulée. Il n’était pas tendre et ne lui avait jamais mâché le travail, mais il savait écouter.
L’entendait-il seulement, aujourd’hui, quand elle lui parlait ? La comprenait-il ?
Le docteur Bartlett avait dit qu’il repasserait après la tempête, et elle savait que sa présence approfondirait sa solitude. Elle ne chercherait même pas à se raccrocher à lui ni à d’éventuelles bonnes nouvelles. Il n’y aurait pas de bonnes nouvelles, et ce qui s’y apparenterait ne serait que fumisterie. C’était la fin. Elle le savait de son père lui-même, dans cette histoire exhumée de la tempête de 1802, quand Jonah Wallace avait souffert du même mal. Du jour au lendemain, il avait gardé le lit et s’était mis à montrer du doigt la porte de sa chambre. Edna ignorait si l’on avait recensé d’autres cas. Pas à la connaissance de son père, du moins. Son père qui lui avait rapporté ce récit de son propre père, vivant au moment des faits.
Tout en récurant le sol, Edna se demanda s’il existait un lien entre son père et Jonah Wallace. Entre les Thompson et les Wallace, même, plus simplement. Peut-être du côté de sa mère, dont son père taisait l’identité depuis toujours. Ils n’en avaient jamais vraiment discuté, Edna n’aimait pas remuer le passé. Elle laissait donc à son père ses douleurs et ses peines, tandis qu’elle se concentrait sur l’épicerie. C’était là un compromis juste à son goût. Harry Thompson gardait ses secrets en l’état, et Edna s’ouvrait sur l’avenir. Un avenir ici, dans ce village où tout le monde se connaissait, mais cela valait mieux que la grande ville sans avoir de quoi se payer une chambre minable.
Edna était ainsi plongée dans ses pensées, à frotter, tordre l’éponge, frotter de nouveau quand l’orage arriva sur eux. Il y eut un craquement, tout proche, et elle se précipita à la fenêtre. La foudre venait de s’abattre. Le cœur d’Edna en palpitait. Ses jambes en tremblaient. Elle avait failli tomber dans le seau en se relevant, et elle se dit qu’il était peut-être temps de se rendre à l’évidence : cette nuit, quelque chose se produirait, comme c’était écrit sur cette tombe anonyme, dans le vieux cimetière.
Aude Réco
Je suis autrice dans les genres de l’imaginaire à destination des adultes et des jeunes adultes.
Je suis adepte de méli-mélo temporel, de mondes aux contrées mystérieuses et, surtout, de maisons hantées et d’histoires de fantômes.
J’aime tout ce qui touche au passé et à la mémoire des lieux, aux secrets de famille et vieilles malles poussiéreuses pleines de souvenirs.