Le roman super compliqué que je voulais envoyer d’ici le 31 janvier ne partira finalement pas. (Roman super compliqué oblige, eh ouais.)
Écrire, c’est aussi faire des choix difficiles, comme celui de renoncer à l’envoi d’un roman auquel on tient énormément. Parce qu’il n’a pas atteint le niveau de précision qu’on lui souhaite.
Je n’ai pas l’intention, ici, de vous raconter la vie de ce roman dont vous ne savez (presque) rien ; ce serait du temps perdu pour tout le monde. En revanche, je peux vous parler de décisions difficiles à prendre pour un·e auteur·e. Je peux aussi vous inviter – si vous êtes du genre curieux – à vous abonner à la newsletter pour voir comment je m’en sors.
(Je vous donne rendez-vous pour un petit feuilleton, car, une fois de plus, c’est en rangeant le bordel que j’ai dans la tête que j’y verrai plus clair. Ceci est une expérimentation qui ne vous engage à rien, si ce n’est découvrir les coulisses compliquées d’un roman, tout aussi compliqué, qui « traîne » depuis l’été 2016.)
Ceci étant dit, place aux difficultés auxquelles j’ai dû ou devrai faire face avec De bric et de broc, lesquelles peuvent étrangement résonner à votre oreille comme une mélodie familière.
TOUT CE QUI EST EN LIEN AVEC L’INTRIGUE
Ici, point question des éléments relatifs aux buts des personnages, mais bien de leurs réactions par rapport à ce qui leur tombe dessus.
Après une discussion avec ma bêta-lectrice de choc, nous nous sommes mis d’accord pour dire que l’un des deux personnages principaux a sérieusement loupé le coche sur un point important du roman. Si je reviens dessus (et je suis obligée de le faire pour des raisons purement logiques), c’est tout un pan de l’intrigue qui évoluera vers un approfondissement du caractère de ce personnage. Sa décision pourrait mettre en branle l’équilibre précaire instauré au fil de l’intrigue, et, par conséquent, amener de nouveaux questionnements, tant pour moi que pour lui.
ÉCRIRE CE QUE CHACUN·E FERAIT, SANS TRAHIR LES PERSONNAGES
Oui, la tâche serait aisée s’il suffisait de bidouiller quelques passages et d’en ajouter d’autres. Seulement, l’auteur·e se doit de respecter la nature profonde de chacun de ses personnages. Comme dans la vraie vie, les personnalités sont nombreuses et variées, certaines se révélant plus complexes ou compliquées à gérer. Sans oublier que ces personnalités ont un lien très étroit avec certains évènements, propres à chacun·e.
De bric et de broc est, sans conteste, mon roman le plus compliqué à ce jour, mais pas parce que j’y manie le temps et l’espace ni parce que la façon dont on interprète ces deux éléments diffère selon que je parle d’un·e humain·e, d’un·e sorcier·ère, d’une divinité…
LA NOTION DE TEMPS
La notion de temps est inhérente à chaque personnage, qu’elle soit vraiment différente ou juste ressentie différemment. Selon que les personnages participent à une activité qui leur plaît ou non, le temps ne s’écoulera pas de la même façon chez l’un et chez l’autre. Toujours comme dans la vraie vie.
Seulement, ici, j’ai dû transposer certains faits en temps divin. J’ai aussi joué avec la chronologie. Entendre par là que l’intrigue oscille souvent entre le passé et le présent, et que le passé en question ne se situe pas forcément à la même période que la fois précédente. Sans oublier que les évènements ne sont pas fixes dans la trame. (« Le temps n’est pas figé », dixit l’un de mes personnages.)
TOUT CE QUI EST EN LIEN AVEC L’UNIVERS
Alors, ça, c’est encore une autre paire de manches. Gérer son propre univers est un exercice que j’adore, mais souvent, c’est quand on l’expérimente dans son texte qu’on s’aperçoit des erreurs.
Pour ma part, j’ai brodé autour de la mythologie des Tuatha Dé Danann, les dieux de la mythologie celtique irlandaise. Un vrai sac de nœuds pour la novice que j’étais, et heureusement pour moi, je n’ai pas tenu à respecter scrupuleusement les détails mythiques et archéologiques. (J’espère que les archéologues et autres spécialistes me pardonneront…)
ÉCRIRE CE QUI A LIEU « HORS-CHAMP »
Heureusement pour moi (bis repetita), la base du récit a été écrite il y a de cela des siècles, et je n’ai eu qu’à piocher dans ce qui m’intéressait pour donner sens à mon intrigue. Sauf que ce n’est pas toujours le cas. Écrire, c’est anticiper par rapport à ce qui se déroule « hors-champ », toutes ces coalitions qui se forment, ces conflits que les personnages nourrissent, ces enjeux desquels découlent ceux du texte…
Mais même en anticipant au maximum, en essayant de tout prévoir, il existe de trop nombreuses variables, et souvent, les personnages décident d’explorer une autre option que celle choisie par l’auteur·e. (Et, parfois, c’est l’auteur·e qui part explorer une autre option que celle qu’iel avait prévue, comme je l’expliquais plus haut.)
Souvent, dans De bric et de broc, j’ai feint d’écrire ces scènes « hors-champ », à la différence que je les ai intégrées au roman, un peu plus tard. (Rapport à la temporalité faussement décousue de l’intrigue.)
Très sincèrement, cette façon de procéder – inédite pour moi – a été un vrai casse-tête. J’ai eu du mal à m’adapter au fait que mes personnages avaient déjà vécu certains évènements, mais qu’ils ne le savaient pas encore. (Car, je le rappelle, le temps n’est pas figé : ce qui a eu lieu peut s’effacer si un personnage, dans le futur, n’agit pas comme il l’aurait dû.)
TOUT CE QUI EST ÉTAIT PRÉVU
Et qui, malheureusement, n’arrivera jamais parce que :
- l’auteur·e s’est débrouillé·e comme un manche (eh, ça n’arrive qu’à celleux qui font quelque chose !)
- l’auteur·e a évolué, son univers a évolué, ses personnages ont évolué…
- les personnages n’en font qu’à leur tête
- de nouvelles idées se sont imposées ou, au contraire, il a fallu faire un choix. (Parce qu’on ne peut pas tout mettre dans un seul texte.)
Rayer certaines idées (pourtant très cool) à cause du manque de place ou parce qu’on a l’impression de viser la mauvaise histoire fait aussi partie du jeu.
Écrire un roman est loin de se résumer à un bête QCM, comme j’ai pu le lire, quelquefois. Personnellement, je rapprocherais cette activité des Livres dont vous êtes le héros. Écrire, c’est se découvrir au contact de ses personnages, mûrir et être capable de prendre une décision que l’on n’aurait jamais envisagée quelques années plus tôt.
J’ai intentionnellement choisi de repousser l’envoi de De bric et de broc parce que j’estime qu’il lui manque quelque chose. Hormis les détails à peaufiner, je veux dire. Je ne sais pas encore de quoi il s’agit, mais une chose est sûre : j’ai fait le bon choix.
Plus tard, quand je reviendrai sur ce roman pour l’envoyer à une maison d’édition, quand je repenserai à ce mois de janvier 2019 (j’ai une très bonne mémoire pour les dates et les futilités), j’aurai compris ce qui m’a empêchée de l’envoyer, mais d’ici là, j’ai 90000 mots d’imbroglio spatio-temporel à retravailler. (On se retrouve dans la newsletter de février !)
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