“L’univers de Stephen King par lui-même.” Ainsi est présenté Anatomie de l’horreur, essai visant à décortiquer le genre horrifique, ses mécanismes et ce qui nous interpelle en lui.
À l’origine, une question – qu’en tant qu’écrivain de l’imaginaire, j’ai déjà souvent entendue : pourquoi écrire dans ce registre ? À laquelle King souligne l’absurdité en évoquant les épines d’une rose et la raison pour laquelle elles piquent. Ou un truc du genre ; honnêtement, je n’ai plus la comparaison exacte en tête.
Bref, dans ce tome 1 (qui n’en était pas un au départ, car l’auteur a produit un one-shot), King commence par exposer les bases de l’horreur. Pour cela, il faut comprendre les mécanismes et les buts (parfois inavoués) du genre humain. Il souligne l’importance du contexte et du média, explore les fondements d’un genre plus complexe qu’il y paraît et fait appel à moult œuvres pour étayer son propos.
L’autopsie, au final, se révèle surprenante et pas du tout ennuyeuse. Une balade dans les tripes de ce qui remue les nôtres – pour les amateurs/trices du genre –, une véritable interrogation sur l’horreur, son essence et ce qui fait qu’elle prend. (Ou pas.)
L’HORREUR SELON LE CONTEXTE
Comme pour toute histoire digne de ce nom, l’horreur a besoin d’un contexte, et Stephen King s’épanche longuement sur le sujet : crainte de la bombe A et course à la conquête spatiale ouvrent le bal. Horreur et terreur sont générationnelles. Ce qui fonctionne sur King prend tout son sens, car il est qui il est, a vécu ce qu’il a vécu et a grandi dans cette atmosphère propice aux livres et films centrés sur l’horreur écologique, économique et les invasions extraterrestres. (Lesquels représentaient le communisme et la Russie.)
Nos préoccupations actuelles ayant changé, ce qui l’interpelle, lui, chatouillera vaguement notre intérêt ou nous ennuiera profondément, mais il y a de fortes chances pour que votre suspension consentie de l’incrédulité se barre en courant. À la limite, vous vous mettrez même à chercher la fermeture Éclair qui démontera complètement l’œuvre, son socle, voire les émotions qu’elle espérait véhiculer. (Et véhiculait peut-être à sa sortie.)
Ce qui nous amène aux médias, car le contexte seul ne suffit pas, et c’est là que King – qui se qualifie comme un enfant des mass medias –, nous conte sa fabuleuse épopée de la radio horrifique.
STEPHEN KING ET LA RADIO QUI ALTÈRE LA RÉALITÉ
La partie qui traite de la radio m’a particulièrement interpellée, car elle aborde, entre autres, la vague de panique soulevée par la lecture radiophonique de La Guerre des mondes. (J’avais écrit une Microphéméride sur ce thème.)
À l’époque, je cherchais une idée de texte pour le 30 octobre et j’avoue avoir lâché un “Oh !” surpris, presque sceptique, en découvrant cette histoire autour de La Guerre des mondes. En lisant le chapitre dédié à la radio par Stephen King, j’ai mieux compris les tenants et aboutissants de cette réaction, qui me paraît disproportionnée aujourd’hui, mais puisait directement dans le contexte d’alors. Et qui sait, peut-être la veille de Halloween a-t-elle aidé ?
Le grand pouvoir de la radio passe par l’obligation, pour l’auditeur/trice, de faire appel à son imagination et à son rapport à la peur, la sienne de préférence. Et nous savons tous que l’horreur ne toucherait pas tant sans l’esprit humain et son extraordinaire pouvoir d’imagination. Tandis que la télévision et le cinéma nous montrent directement ce que l’on doit voir, la radio, elle, brosse des portraits et dresse des décors qui prendront vie selon les perspectives des auditeurs. Elle puise plus profondément en eux et caresse leurs peurs les plus intimes. La radio a ceci de plus par rapport aux images filmées : la proximité entre l’auditeur/trice et l’horreur. On pourrait même parler d’intimité.
La radio altère la perception de la réalité, mais et notre réalité justement ?
LE GENRE HORRIFIQUE, LA SOCIÉTÉ ET NOUS-MÊMES
Je parlerai ici de « nous-même » en tant qu’écrivain, plutôt que lecteur/trice.
“Pourquoi donc inventez-vous de telles horreurs, alors que la réalité en est déjà pleine ?”
Le mieux est encore de percevoir le genre horrifique comme une soupape de sécurité psychologique, un défouloir pour contrer l’horreur réelle. L’horreur lue ou visionnée est un formidable prétexte à céder à la peur sans craindre le jugement.
Sans parler d’utilité sociale, il n’est pas rare que l’horreur soit le reflet d’une peur collective (d’où l’importance du contexte) : celle de l’étranger (coucou la Russie), de la technologie (des monstres créés à partir du nucléaire !), économique, celle de la différence…
Les monstres ne sont pas forcément des créatures hideuses, et s’ils se cachent derrière un masque, tels un Mr Hyde, ce n’est pas tant pour faire le mal ou semer la terreur que pour échapper aux normes d’une société moralisatrice. L’horreur peut être perçue comme un autre côté du miroir, dans lequel des figures mythiques se superposeraient parfaitement à notre réalité.
Stephen King aborde donc le sujet des horreurs réelles, et s’il va jusqu’à évoquer la catharsis, il n’en reste pas moins que le plaisir du lecteur est largement suffisant, selon lui. Rien de telle que de l’horreur brute qui prend le dessus sur le rationnel pour en appeler à son imagination, ses actes et convictions profondes.
Dans Anatomie de l’horreur, King fouille également la différence entre terreur et horreur, ainsi que les degrés d’horreur qui existent. Il évoque, à juste titre, Le Cœur révélateur de Poe et La Maison du diable de Robert Wise, lequel ne montre jamais ce qui cogne à la porte. (Enfin, « cogner » est un euphémisme à ce niveau.) Mais ceci est une autre histoire et je vous prépare d’ailleurs un article détaillé, car il est toujours intéressant de décortiquer un genre pour peaufiner sa propre écriture.
C’est ici pour voir les livres sur lesquels s’appuie King pour développer son essai. Je n’ai pas tout mis, uniquement les livres que j’ai lus. Faites-vous plaisir !
Psychose – Robert Bloch
Dracula – Bram Stoker
Les Contes Macabres – Edgar Allan Poe
Le Cas étrange du Dr Jekyll et de M. Hyde – Robert Louis Stevenson
Hansel et Gretel – les frères Grimm
Frankenstein – Mary Shelley
Les Rats – James Herbert
Et si vous souhaitez vous procurer Anatomie de l’horreur, sachez qu’Albin Michel a récemment sorti une nouvelle édition (en un seul volet, cette fois), un chouïa augmentée, mais pas de quoi casser trois pattes à un canard.