Elles nous portent, nous fatiguent, nous tirent vers le bas ou nous émerveillent, bref, elles nous permettent de voir le monde en Technicolor ; j’ai nommé les émotions.
Elles sont nombreuses et variées, passant d’un extrême à l’autre et suscitant la joie, les angoisses, l’incrédulité… Chacun·e de nous passe par un panel extrêmement diversifié d’émotions et si vous voulez que vos personnages sonnent vrai, il leur faudra bien en éprouver aussi. (Quoique… vous pouvez jouer sur l’absence de sentiments, mais c’est une autre histoire !) Seul hic : il y en a beaucoup trop pour toutes les passer au crible.
Écrire les émotions : le juste milieu
J’ai donc choisi de présenter les principales, que vous pouvez retrouver :
- décrire la peur ;
- susciter la haine, le dégoût ou le trouble ;
- écrire l’amour et l’attirance ;
- exprimer les non-dits.
Décrire la peur
Les angoisses, les phobies, l’ombre qui grignote le peu de lumière qu’il reste, les bruits de pas dans notre dos, le cœur qui bat à tout rompre… Tous les moyens sont bons pour décrire la peur, pour l’installer et surtout, pour faire trembler les lecteurs avec le(s) personnage(s).
Pour appuyer mes propos, je publierai des extraits de ma novella La Belle au lys, publiée au Petit Caveau.
Je sursautai dans mon demi-sommeil. Une succession de sons affreux me parvint, secs, comme des os, un corps en train de se démembrer, là, juste derrière ma porte.
La Belle au lys – novella gothique – éditions du Petit Caveau, 2018
Comprendre la peur pour mieux l’écrire
La peur peut arborer bien des visages et se prêter à bien des situations. C’est d’ailleurs ce qui la rend si fascinante à exploiter : passer un examen (médical ou scolaire), avoir un enfant, faire son coming-out, tester un nouveau coaster… Parce qu’on ne s’imagine pas croiser un fantôme tous les quatre matins ou pactiser avec un démon comme on change de chemise.
La peur est un sentiment universel et pas seulement limité au genre humain. Si votre personnage craint un animal (qui le devient à cause d’une malédiction, d’une morsure…) ou s’il l’est naturellement (dragon, serpent des mers, hippogriffe…), lui aussi peut craindre l’humain. (De même que le feu, la captivité, l’esclavage…)
De l’usage de votre propre expérience
Vous êtes humain(e), alors vous avez forcément déjà eu peur au moins une fois dans votre vie : un examen à passer, risque de perdre un animal ou un proche, un accident évité de justesse… Comme pour beaucoup d’émotions, inspirez-vous de vous-même, car vous êtes le meilleur exemple et læ mieux placé·e pour savoir comment vous réagissez.
Qu’avez-vous ressenti durant votre première leçon de conduite, quand vous avez amené votre chat/chien/rongeur chez le vétérinaire pour un problème ? Essayez maintenant de transposer les signaux de votre corps dans une autre situation, pas forcément similaire, d’ailleurs. Travaillez-les, amplifiez-les. Votre personnage peut :
- douter ;
- se poser des questions ;
- hésiter ;
- envisager le pire ;
- chercher à fuir ;
- percevoir un danger là où il n’y en a pas ;
- …
Il peut aussi avoir :
- les jambes qui flageolent ;
- les mains moites ;
- simplement la peur au ventre ;
- des frissons sur la nuque ;
- l’impression qu’on l’épie ;
- sentir une présence ;
- le souffle court ;
- …
À vous de voir si vous employez des métaphores (« être tendu·e comme un arc », « avoir une peur bleue ») ou si vous préférez poser les choses telles quelles. Attention, toutefois, à montrer plutôt que dire et à ne pas (ab)user des mêmes techniques ou expressions.
Le cas des non-dits
Petit cas à part avec les non-dits, car on peut les placer (à condition de ne pas en abuser) quand le personnage se tait parce qu’il redoute une réponse, une remarque, une objection.
La peur peut également créer une sorte de néant dans l’esprit du personnage, un vide durant lequel il ne bouge pas, ne pense à rien. Il a juste peur, ne sait pas quoi faire, mais a dépassé le stade des questions.
Susciter la haine, le dégoût ou le trouble
Être fou ou folle de rage, avoir le cœur au bord des lèvres, ravaler un filet de bile ou réprimer un haut-le-cœur… La haine, le dégoût et le trouble sont au moins aussi désagréables à ressentir que la peur et possèdent de multiples interprétations. Surtout, ils se révéleront de merveilleux alliés si vous parvenez à les susciter chez les lecteur·rice·s.
Ici, je m’appuierai sur des extraits de ma série Appartiens-moi pour développer mon propos.
Il courait toujours, aussi insaisissable qu’une anguille, mais je me promettais de lui mettre la main dessus, puis de l’abandonner à la meute. Son sort ne dépendrait pas de moi ; je ne voulais plus avoir quoi que ce soit à faire avec cet individu. Je ne le connaissais plus. Mon corps rejetait son existence. Ma conscience, mon loup, tout mon être le reniaient.
Appartiens-moi – série d’urban fantasy – autoédition, 2019
Comprendre la haine, le dégoût et le trouble pour mieux les écrire
Là où film d’horreur suscitera votre dégoût, un fait-divers vous troublera, et certains comportements attiseront votre haine. (Ou, dans une moindre mesure, votre colère.) Il s’agit de sentiments négatifs, contrairement à la peur, qui, elle, comme le rappelle si bien Twelve dans Doctor Who, est un super-pouvoir.
La haine
On parle ici d’un sentiment extrême, mais important. Hostile, elle peut résulter d’une phobie, d’un acte perpétré envers votre personnage, d’un trouble… La peur et la souffrance sont les vecteurs essentiels de la haine. Elle peut pousser à commettre des agissements malveillants.
Crisper les poings/la mâchoire, serrer les dents, fusiller du regard, fulminer… sont autant de manières d’exprimer la haine, au même titre que la violence.
Le dégoût
Le dégoût est le résultat d’une personne confrontée à quelque chose ou quelqu’un qu’elle rejette. (Dont elle rejette l’existence, pour une personne.)
Le dégoût est un sentiment primaire qui peut amener, lui aussi, à un comportement violent, à des propos dégradants ou à (une incitation à) la haine.
Il est important pour qualifier les goûts et les préférences de vos personnages, leur donner du relief (même si ce n’est pas dans le bon sens parce que eh ! la fiction, ce n’est pas les Bisounours non plus), des aversions…
Le trouble
Notre dictionnaire des synonymes associe le mot « trouble » à l’affolement, au bouleversement, au saisissement…
Rouler des yeux, avoir les joues qui virent au cramoisi, un nœud dans le ventre, les jambes qui flageolent… sont différentes manières qu’a le corps d’exprimer notre trouble.
Le trouble se manifeste lorsque l’on est dans une posture dite délicate : quand quelqu’un nous prend à parti, alors que l’on n’a rien demandé, quand il tient des propos qui nous interpellent (dans le bon ou le mauvais sens), quand on assiste à une scène à laquelle on aurait préféré ne pas assister…
Le trouble peut aussi trahir une attirance pour quelqu’un.
Écrire l’amour et l’attirance
Rendre votre personnage transi d’amour sans trop en faire, écrire son attirance pour le nouveau collègue, impliquent d’introduire des émotions (car l’amour n’est pas vraiment considéré comme une émotion en soi) :
- le trouble (j’en parlais brièvement au-dessus)
- l’hésitation / le doute
- la joie
- l’attrait / le désir
- …
Ma romance gothique Cœur sommeil me fournira de parfaits exemples pour développer mon chapitre.
En son for intérieur, elle pensa que la découverte aurait pu se dé-rouler en plus mauvaise compagnie. Un léger sourire étira un coin de ses lèvres et une fossette se creusa dans la joue. L’accident ne fut pas malheureux, en fin de compte.
Cœur sommeil – romance gothique – autoédition, 2017
Différencier les différents niveaux de l’amour pour mieux l’écrire
On peut aimer ses parents, sa fratrie, sa compagne ou son compagnon, son animal de compagnie… Toutefois, je me concentrerai ici sur l’amour que l’on porte à un·e petit·e ami·e, par exemple. (Ou une personne qui pourrait le devenir.)
L’amour est multiple à exprimer. Complexe, du coup. Selon le degré, il exprime l’attachement, l’affection, la tendresse, la passion…
Vos propres ressentis comme ressource
Vos propres sentiments sont une source importante dans laquelle puiser pour vos personnages, car chacun·e éprouve, à un moment ou un autre, de l’amour. (Hormis les aromantiques, évidemment.) Vos anecdotes peuvent aussi se révéler de précieuses alliées.
Qu’avez-vous ressenti la première fois que vous êtes tombé·e amoureux·se ? Avez-vous hésité ? Avez-vous foncé ? Votre assurance a-t-elle payé ?
Posez-vous des questions :
- qu’est-ce qui fait qu’une personne vous attire ?
- vos personnages croient-ils en le coup de foudre ?
- l’un de vos personnages fait-il tout pour en conquérir un autre ? (Sans le harceler, bien sûr)
- qu’aimez-vous écrire quand vous évoquez l’amour ?
- quels sont les clichés que vous aimeriez éviter ?
- …
Quelques tuyaux pour les aromantiques (et les autres)
Retranscrire une « émotion » que l’on n’a jamais ressentie n’est pas chose aisée. Heureusement, l’amour étant composé de plusieurs autres émotions, il est possible de travailler sur l’attachement, l’affection, voire la tendresse.
Écrire les émotions relatives à l’amour relève surtout de la « réaction chimique » ou corporelle. (J’en reviens à mes joues qui virent au cramoisi.) Une fois ces émotions sur le papier, il n’y a plus qu’à ajouter un emballage. On évite, bien sûr, certaines expressions toutes faites. On retranscrit au mieux la complexité de ce que ressent le personnage, on joue sur sa maladresse, son assurance, ses expériences passées, bref, sur ce qui le caractérise. (Entendre par là que, si votre personnage est un maladroit né, vous ne le bourrerez pas d’une assurance tombée d’on ne sait où, à moins de la faire se retourner contre lui, par exemple.)
Exprimer les non-dits
Selon le genre de votre texte, son contexte et les personnages, les non-dits peuvent être très intéressants à exploiter.
Les non-dits et la peur
Un personnage qui a peur ne se focalisera pas forcément sur ce qui l’entoure, là où un autre analysera le moindre détail. Dans ce contexte, un non-dit peut devenir une menace latente (voire infondée ou, même, qui ne se réalisera jamais ; idéale pour ajouter en tension et jouer sur les interprétations du personnage.)
Les non-dits sont riches du pouvoir de l’imagination. Des personnages et des lecteur·rice·s. Ils en appellent aussi à l’interprétation selon le degré d’anxiété du personnage, sa capacité à rebondir, son manque de discernement, le contexte…
Les non-dits et le dégoût, la haine, le trouble
Associés à des émotions négatives, les non-dits peuvent aisément miser sur le langage non verbal : fusiller du regard, grimacer de dégoût, serrer les poings, rougir…
Ils permettent d’enrichir la narration, d’alterner avec des dialogues, de perfectionner les réactions des personnages… bref, de jouer sur les nuances et les interprétations.
Les non-dits et l’amour
La plupart du temps, les non-dits associés à l’amour résultent d’une hésitation. Celle-ci peut être due à des doutes quant à la réciprocité des sentiments, une situation brouillonne (proches insistants sur la capacité du personnage à se trouver un·e petit·e ami·e, personnage qui veut (se) prouver quelque chose, célibat pesant, mais expériences précédentes catastrophiques…), crainte d’être rejeté·e, moqué·e, humilié·e…
Personnellement, j’aime employer les non-dits pour rabibocher mes personnages, parfois pour exprimer leur tendresse ou leur surprise.
Écrire les émotions ou l’art de jongler avec les mots
Je pars du principe que les émotions sont ce qui caractérise le mieux mes personnages. Elles les brusquent, les réconcilient, les déroutent et les empêchent de/poussent à commettre des erreurs. En ce sens, elles leur permettent d’évoluer.
Entre le début et la fin d’un texte, ces émotions doivent avoir changé les personnages, les avoir endurcis ou apaisés. Les personnages se construisent à travers leurs propres émotions et celles que les autres personnages ressentent. De leur justesse dépend une compréhension globale des personnages, de leurs réactions et de leurs affinités.
S’il s’agit là d’un exercice que vous souhaitez travailler, inscrivez-vous à l’atelier d’écriture créative du jeudi 24 septembre, de 20 à 22 heures sur Discord.
AUDE RÉCO
Autrice • blogueuse • YouTubeuse
30 ans, autrice dans les genres de l’imaginaire et la romance. Publiée au Petit caveau, chez Rocambole et à mon compte, j’ai écrit une vingtaine de romans et novellas, dont certains ont reçu des prix. (Vampires & Sorcières 2014 et un Watty Award en 2019.)