J’ai atteint les 40 000 mots sur mon premier jet des Portes de Boistrel. (41 044 mots pour être exacte.) Je pense en être à environ la moitié du roman ou un peu moins. J’ai l’impression qu’il me reste encore tant de choses à écrire ! C’est très rare pour moi de disposer d’un plan détaillé et de passer plus de temps que prévu sur certaines scènes. De m’attarder. C’est aussi très plaisant. (Après tout, Boistrel n’est pas un roman doudou pour rien.)
Cette semaine, j’ai travaillé sur une nouvelle palette de personnages (ça n’aide pas à avancer, non plus), cent ans avant les faits que je décris dans mon roman. Et j’ai réussi à faire le lien entre ces deux époques (1802 et 1902) grâce à un personnage qui prenait de l’importance sans que je me penche encore vraiment dessus. (Donc, finalement, ce détour m’aura été bien utile.)
Maintenant, je peux le dire : de ce côté, la boucle est bouclée. (Au bout de 41 000 mots, il était franchement temps de lever ce premier voile.) Quant à un autre point que j’aimerais régler assez vite, je ne sais pas trop quelle direction lui donner pour l’instant. (Je ne vous spoile pas, mais si vous voulez en savoir plus, rendez-vous sur CoCyclics.) Pourtant, ce n’est pas gênant et même volontaire dans le sens où je ne cherche pas encore à régler ce problème. J’ai appris, à force d’écrire du fantastique, que, quand l’auteur·rice ne sait pas trop où iel va, ça permet de moins deviner la vérité. (À condition, bien sûr, de ne pas s’éparpiller et de se connaître suffisamment pour s’assurer de gérer malgré tout le bordel.)
Un cognement sourd à la fenêtre réveilla Mark. Depuis son tapis, devant la cheminée, Hannah redressa la tête, aux aguets.
Il fallut à Mark un certain temps pour se rappeler de l’endroit où il se trouvait – au salon, en l’occurrence. Le feu ne crépitait plus. Il faisait un froid de chien et noir comme dans un four. Hormis les éclairs qui illuminaient le salon par intermittence, Mark n’y voyait goutte.
Hannah gémit une première fois, puis se leva malgré le rappel de son maître. Elle se dirigea instantanément vers l’une des fenêtres. Pas les quatre fenêtres, tour à tour, mais bel et bien celle de gauche, à l’extrémité de la pièce. Mark se força à la suivre. Il ne comprenait pas son comportement depuis le début de la tempête. D’abord, sa virée dans la forêt de Boistrel – là où, comme lui, elle ne mettait jamais les pattes. Maintenant, cette fenêtre. Mark se souvint alors de ce qui l’avait tiré du sommeil. Le cognement sourd. Plutôt, les cognements. Trois heurts. Hannah avait dû les entendre, elle aussi. Avec une ouïe comme la sienne, pas étonnant qu’elle se trouvât sous la fenêtre. Une branche avait sûrement buté dans le volet ouvert – Mark ne les faisait jamais fermer, habitude qu’il avait gardée du temps où Martha vivait encore ici.
Où elle vivait encore ici>, ricana-t-il à part lui. >Comme si elle était partie.
Simplement partie. D’une certaine façon, c’était vrai. Martha était partie, mais pour l’autre monde. Elle n’avait pas pris la décision de plier bagage. Elle n’avait pas réservé un taxi pour rejoindre la première gare en ville, à quelques kilomètres de Boistrel. Elle n’avait pas tourné la page, comme on dit. Elle avait seulement laissé un vide énorme derrière elle, et même Hannah s’en était ressentie au cours des premières semaines.
— Qu’est-ce que c’est, ma belle ? lui lança Mark en la rejoignant.
Il s’accroupit pour la gratifier d’une caresse sur la tête, suivie d’une petite tape pour lui exprimer sa fierté de monter si bien la garde. Il jeta un coup d’œil à la fenêtre, mais ne vit rien que des trombes d’eau et des éclairs intermittents. Son reflet, aussi. Son reflet qui bougea, alors que lui, non. Pas d’un millimètre. Mark gardait les yeux plissés pour tenter d’apercevoir quelque chose. La branche qui avait cogné contre la fenêtre, par exemple. C’était idiot, mais maintenant, son cœur battait à tout rompre à cause du sursaut, et il détestait définitivement cette nuit.
Le reflet eut un mouvement de côté, tête penchée. Mark fit volte-face dès qu’il réalisa. Rien. Rien à part lui et les angoisses qu’il matérialisait vraisemblablement. Il se frotta les yeux dans un soupir. La fatigue lui jouait des tours. Il avait enchaîné les visites, aujourd’hui. Sans compter les trois qu’il avait dû effectuer à domicile, dont un cas grave de démence. Harry Thompson – le plus vieil habitant du village – avait perdu la tête. Il pointait du doigt la porte de sa chambre en tremblant de tous ses membres. Il balbutiait des propos incompréhensibles avec ce vide dans le regard. Et il gardait le bras tendu vers la porte, qu’elle fut ouverte ou fermée. Ça avait mis un coup à Mark de voir ainsi un ancien ami de son père. Par ailleurs, Mark le connaissait plutôt bien, le vieux Thompson. Gamin, il lui donnait un coup de main à l’épicerie – qu’avait reprise sa fille depuis quelques années. Aujourd’hui, le vieil homme était… Mark secoua la tête, attristé. Dans sa démence, Harry Thompson emportait les jeunes années d’une partie de la population. Il était l’un des piliers de la communauté, et le pilier menaçait de s’effondrer sans espoir de réparation.
Aude Réco
Je suis autrice dans les genres de l’imaginaire à destination des adultes et des jeunes adultes.
Je suis adepte de méli-mélo temporel, de mondes aux contrées mystérieuses et, surtout, de maisons hantées et d’histoires de fantômes.
J’aime tout ce qui touche au passé et à la mémoire des lieux, aux secrets de famille et vieilles malles poussiéreuses pleines de souvenirs.