J’ai une passion dans l’écriture : la mémoire des murs, des lieux, qui deviennent alors des personnages à part entière. Ils possèdent leurs histoires, leurs souffrances, sombrent parfois dans l’oubli ou connaissent une renaissance. Ils sont majestueux, miteux, condamnés à la déchéance ou empreints d’horreur.
L’écriture ne consiste pas seulement en l’investissement de l’auteur·e en ses personnages. On dit/lit souvent que les auteur·e·s mettent beaucoup d’elleux dans leurs personnages, même si on ne s’en rend pas forcément compte. Il y a cependant un type de personnages que l’on oublie parfois ou ne considère pas comme tels : les lieux.
J’ai toujours été attirée, fascinée par les vieilles bâtisses, les manoirs, les cités antiques et les églises. (Quand j’étais môme, on visitait les églises avec mon père.) Je vous laisse deviner mon niveau d’impatience quand on m’a annoncé que j’allais à Rome pendant une semaine !
Les murs possèdent une mémoire, que l’on parle de textes, peintures, bas-reliefs et autres qui les ornent, ou plus spirituellement, de lieux témoins, voire de la mémoire collective. Pour ma part, je reste surtout dans une écriture qui présente des drames familiaux, des lieux hantés – à proprement dit ou métaphoriquement parlant. Souvent, les deux se mêlent.
LIRE ENTRE LES VIEILLES PIERRES
J’ai aussi un goût prononcé pour tout ce qui est historique. Les manoirs victoriens, les édifices antiques, marqués par l’empreinte des dieux et toujours habités de leur présence, les cimetières me parlent, en quelque sorte.
Si les vieilles pierres m’inspirent énormément, il n’en va pas que des édifices marqués par l’Histoire ou le temps. Une pièce condamnée depuis plusieurs années aura, à mes yeux, autant à raconter que des ruines ou un manoir géorgien. C’est, à mon sens, l’empreinte laissée par l’histoire (avec un petit ou un grand « H ») qui détermine mon attrait pour un lieu. Isolé ou en plein cœur d’une ville millénaire, minuscule ou particulièrement vaste, la taille, la vétusté et l’âge ne font absolument pas tout.
ÉCRITURE ET LITTÉRATURE GOTHIQUE
Ce n’est pas par hasard, je pense, si je me suis tournée vers le gothique. Pour moi, il y a une sorte d’aura qui flotte sur ce genre. L’écriture d’un roman gothique est toujours une grande expérience, me concernant. Évidemment, le côté historique et les recherches qui en découlent renforcent et développent mes connaissances.
Au départ, je suis une auteure de fantastique. Je n’écris de la fantasy que depuis trois ans et de la science-fiction que depuis un an. Le fantastique est un genre grâce auquel je peux faire intervenir des éléments surnaturels dans la vie de tous les jours. (Fantôme, malédiction, maison qui saigne…). Ceux-ci interfèrent avec le quotidien des personnages, et souvent c’est un lieu qui est l’objet du phénomène. On entend plus souvent parler, dans la fiction ou la culture populaire, de maison hantée, de cimetière hanté, de lieu maudit.
UNE BULLE D’ÉCRITURE
Pour le gothique, on renverse la vapeur : les éléments surnaturels ne sont pas forcément considérés comme normaux de la part des personnages, mais ils font partie du décor. Ils sont le plus souvent admis, car les personnages évoluent déjà dans un contexte qui les a habitués, préparés. Je pense notamment à l’émergence du spiritisme, au milieu des années 1800, aux croyances de l’époque victorienne, aux photos post-mortem, aux fictions qui ont largement contribué à l’élaboration d’un contexte propice aux frayeurs. C’est comme si toute cette époque dite « gothique » se trouvait dans une formidable bulle. Tout un tas de données issues de la vie quotidienne ne demandent qu’à être exploitées.
DES MURS QUI PARLENT
L’architecture victorienne puise elle-même dans des styles oubliés, auxquels les architectes de l’époque ont insufflé une nouvelle vie. Je pense que cette réappropriation de styles qui possèdent déjà une histoire m’attire énormément dans les murs victoriens, et donc dans le genre gothique.
Néanmoins, que je m’oriente vers l’écriture d’un roman gothique ou simplement fantastique, mon plaisir ultime vient des scènes qui consistent à faire parler les murs.
DES LIEUX QUI PARLENT
Les lieux étant des personnages comme les autres, je prends un plaisir tout particulier à les décrire. Qu’ils soient maudits, austères, dégagent une certaine majesté, je pioche dans toutes leurs composantes avec délectation. (Oui, délectation.) Les sonorités et odeurs sont aussi importantes que l’image dégagée par un lieu. Elles participent à l’idée que les lecteur·rice·s s’en feront.
Souvent, mes premiers jets manquant de détails. Ils se concentrent sur l’action et les personnages. D’abord leurs caractères et apparence physique, que je délaisse au fur et à mesure. C’est une erreur, car si moi, je les connais, les lecteur·trice·s, elleux, pas encore tout à fait. Je commets une double erreur quand j’omets la dimension spatiale dans une scène. Plus encore dans une scène charnière.)
Il m’a fallu huit réécritures pour aboutir à l’extrait ci-dessus tel que je vous le présente.
« Une allée interminable s’étirait devant Nicholas, pour se perdre dans une végétation hivernale luxuriante. Les fleurs piquetaient la neige de mauve, de jaune, bleu, rose. Les plantes vivaces ouvraient leurs corolles mouchetées ou striées, les grimpantes exposaient leurs grandes feuilles vert foncé, qu’accompagnaient de
grosgénéreux bouquets blancs.De l’autre côté de l’imposante grille noire, aux pilastres rehaussés de lanternes allumées, chaque détail floral, chaque ornement conférait au domaine, paisible, un air de paradis terrestre. Une tiédeur, très inattendue pour la saison, enveloppa Nicholas dès qu’il franchit le battant aux barreaux métalliques,
surmontéshérissés de piquets dorés, et austère comparé à la merveilleuse atmosphère qui se dégageait de Sohe Dela. C’était comme si l’hiver n’avait aucune emprise sur lui. Tout resplendissait ; le manteau de neige sublimait les statues, chérubins, pétales délicats et coups à fleurs d’un doux éclat. Laiteux, le ciel formait un dôme naturel qui atténuait les contrastes, les épurait et faisait tomber sur cet ensemble harmonieux une lumière particulière, indéfinissable. Le manoir trônait comme au centre d’une bulle, majestueux et au-dessus de tout par sa grandeur. Quand Nicholas s’arrêta à mi-chemin, sa valise à la main, pour regarder derrière lui, l’allée qu’il montait lui parut plus interminable encore qu’en arrivant. les bruits familiers du monde qu’il connaissait, les trottinements des chevaux, le roulement des voitures, les vendeurs de journaux à la criée, s’évanouirent en ce matin de mars particulièrement froid. L’environnement immédiat de la bâtisse évoluait avec une sensation de lenteur infinie et de calme absolu. Le parfum de fleurs aux noms imprononçables embaumait l’air et remplaçait les odeurs de crottin de cheval, de la fumée qui s’échappait par les immenses cheminées des usines, de la Tamise nauséabonde.Nicholas n’eut plus d’yeux que pour Sohe Dela.
NicholasIl monta la première volée de marches, délimitées par un muret aussi immaculé que le manoir dressé là, avec ses trois étages, sa tour octogonale et son porche. En quarante ans – et trente de métier –, il n’avait jamais vu pareille splendeur. »
Et vous, quelles sont vos passions en écriture ? De quoi aimez-vous parler par-dessus tout ?