Écrire un texte historique : l’importance de la documentation

Écrire un texte historique

Écrire un texte historique : la documentation

 

Souvent, l’écrivain est tout joyeux à l’idée de se lancer dans son nouveau projet, et vous, là, de l’autre côté, qui lisez cet article, êtes peut-être dans le même état. Peut-être même comptez-vous écrire un texte historique ? Un peu historique ? Une dystopie, par exemple ?

Quel que soit le genre, s’il touche à des faits réels, l’auteur doit se montrer d’autant plus rigoureux.

CE QU’IMPLIQUE LA DOCUMENTATION

La documentation implique absolument tout. 

Lieux, époques, vocabulaire, météo, mœurs, costumes et je suis sûre d’en oublier. Chaque décision de votre personnage, et donc de vous-même, peut engendrer de nouvelles recherches. À ce propos, n’allez pas croire que certains genres sont plus aisés que d’autres, car vous tomberez toujours sur un détail qui vous enquiquinera jusqu’au bout :

  • mon personnage s’exprime-t-il de manière convenable par rapport à sa classe sociale ?
  • ce monument existait-il au moment où se déroule mon texte ?
  • cette idée est-elle acceptable pour l’époque ?
  • ceci est-il possible dans tel contexte ?

Contrairement à ce que certain(e)s pensent, se documenter n’est pas une étape fastidieuse. Au contraire, elle représente un enrichissement, une volonté de dépeindre un contexte le plus fiable et développé possible. Attention cependant à ne pas décrire de manière encyclopédique. En général, trop de descriptions tue la description et je ne saurais que trop vous conseiller d’étendre ces passages au fil des pages.

Et en parlant de contexte…

Le contexte, à Saibh Hannáin, n’était guère propice à la sérénité. L’étau de la chasse aux sorcières se resserrait chaque jour un peu plus. Quelquefois, des nouvelles arrivaient des hameaux voisins. Plutôt mauvaises. Les croyances traditionnelles survivaient face au christianisme. Cian lui-même s’y réfugiait dès qu’il en éprouvait le besoin, et en ce moment, plus que jamais, il pratiquait ses rites dans le plus grand secret. De temps à autre, on annonçait, au village, la réapparition d’un corps noyé, poignets et chevilles ligotés entre eux.

W.I.P – Camp NaNoWriMo

Internet, bibliothèques/médiathèques, documentaires/reportages, expériences personnelles… sont vos amis, pour peu que vous sachiez quoi chercher et de quelle manière. Oui, parce que prendre cent pages de notes qui ne vous serviront à rien ou à peine à dresser le contexte, j’appelle ça une perte de temps. (Bien qu’elle soit moindre étant donné qu’on parle d’enrichissement, cf. plus haut.)

QUAND ET COMMENT ?

La documentation, surtout si vous écrivez de l’historique, c’est ce petit (gros ?) truc en plus qui vous évitera de passer pour un con quand les autres liront votre texte. Si vous pouviez éviter de mélanger les dynasties égyptiennes et de semer des anachronismes partout, ça arrangerait bien du monde. Un récit n’est pas la foire au grand n’importe quoi, à moins d’assumer, de légitimer ce côté et d’en faire votre marque de fabrique. (Croyez-moi, ça peut être drôle, à condition de conserver de la cohérence.)

Bref, la documentation est idéale pour éviter une espèce de gloubiboulga spatio-temporel à la va comme je te pousse et je verrai plus tard pour les absurdités. Alors, effectivement, vous pourriez zapper lesdites absurdités et vous en charger durant la phase de corrections, mais ça risque de vite vous gonfler, cette traque aux âneries. Et puis, on m’a toujours appris qu’un travail bien préparé est un travail à moitié fait. (Merci maman !)

Commençons par l’aspect le plus délicat de la question, à savoir le quand. Autrement dit, à quel moment effectuer les recherches, se poser les bonnes questions, bref, effectuer un véritable travail en amont, fouillé et avec la tête la première dans les bouquins ? J’aurais tendance à répondre dès que vous en ressentez le besoin, mais ce serait trop facile. Établir une liste des personnages, des lieux-clefs et de l’époque est un bon début. Si vous savez qui fait quoi et à quel endroit, vous pourrez attaquer la phase de recherches et effectuer les ajustements nécessaires. Ceux-ci risquent encore de se faire pendant le premier jet, car nul n’est parfait et il arrive que de rares incohérences viennent semer la discorde dans ce que l’on aura mis tant d’heures, de jours, de mois à préparer.

Pour la méthode, comme d’habitude, je vous conseillerai d’essayer, de barrer, de revenir sur vos notes, de les assembler, de voir ce que ça donne. Il n’y a pas de secret : le temps sera votre meilleur ami.

DE L’ART DE SE DOCUMENTER

Observer, lire, comprendre. C’est bref et je suis certaine que ça vous parle.

OBSERVER

Vos personnages restent (la plupart du temps) des humains et réagissent donc en humains. Leur psychologie s’apparente à la vôtre, à la mienne, à celle de chacun(e), en fait, et ce, peu importent les enjeux. Observer passe aussi par des reportages, des photographies, des croquis, des peintures/illustrations, qui sont autant de témoignages d’époque. Parfois, une toile vous en apprendra plus sur un quartier ou des photos sur une tenue vestimentaire qu’un livre entier.

LIRE

Pour autant, lire reste un gros point fort dans notre trio de la documentation. Internet regorge de sites poussés sur un nombre incalculable de sujets. Une véritable mine d’or, pour peu que vous vous donniez la peine de fouiller et de vérifier les sources. (Wikipédia est bien gentil et il dépanne, mais parfois, il chie dans la colle, si vous me permettez l’expression.)

Multipliez les lectures et gardez à l’esprit qu’elles n’ont pas à être en rapport direct avec vos recherches. Si votre fiction se déroule fin XIXème en Irlande et que vous avez justement sous le coude une saga historique qui tombe pile poil dans cette période et ce pays, ne vous privez pas !

COMPRENDRE

Là, oui, c’est la base et il n’existe pas trente-six façons de l’expliquer. Si vous ne comprenez pas les enjeux de la énième guerre anglo-espagnole et que tout ou partie de votre texte repose dessus, mieux vaut ne pas forcer et passer à autre chose. Si vous craignez de ne pas saisir certaines informations, n’hésitez pas à vous pencher sur les ressources mises à la disposition des plus jeunes ; c’est souvent plus simple et expliqué autrement, ça peut aider.

Quelques liens, en plus du sempiternel Wikipédia, pour vos recherches :

DES PERSONNAGES ET LIEUX RÉALISTES

Je soulignais l’importance des peintures et illustrations, car, en effet, il vous sera difficile de trouver des photographies relatives au règne de Toutânkhamon. (Hormis les célèbres clichés de son non moins célèbre tombeau.) Ceci n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Les auteurs de textes inscrits dans une période, un cadre futuriste se heurteront au même problème, si ce n’est que le travail d’imagination devra se projeter dans un avenir plus ou moins lointain. Pour cela, les œuvres d’illustrateurs/trices au talent fou et ayant, à peu de choses près, déjà imaginé un décor similaire au vôtre pourrait vous ôter une sacrée épine du pied. De même que certaines reconstitutions : habitats, machineries…

Pour les personnages, tout dépend si les vôtres côtoient des protagonistes/antagonistes historiques, s’ils en sont eux-mêmes… Là, bien sûr, des recherches plus que poussées vous attendent. (Sauf si, comme je l’expliquais dans la première partie, vous décidez de jouer la carte du “grand n’importe quoi”.) Des lieux et des évènements précis vous attendent, ainsi que, quelquefois, des citations célèbres.

Quand Evie quitte sa chambre minable, au premier étage d’une maison close londonienne, elle sent encore la présence éthérée de cet homme. Son parfum habille la quadragénaire, qui profite de descendre le grand escalier pour arranger brièvement sa coiffure. De ravissantes boucles brunes tombent sur ses épaules nues. Elle se trouve une mine pincée lorsque son regard bleu croise son reflet dans le miroir de l’entrée, mais elle travaille dans le milieu depuis assez longtemps pour savoir ce que valent les apparences. Son décolleté, sa robe soyeuse, l’éclat rieur dans ses yeux ne sont qu’illusion.

L’homme malheureux (extrait de Vies et morts) – parution le 1er octobre

NE PAS TROP EN FAIRE

La grosse question, avec la documentation, est : à quel moment s’arrêter ? Encore une fois, quand vous le sentez. Vous êtes le seul maître à bord et il sera toujours possible de couper pendant la réécriture ou les corrections. Vous vous retrouverez forcément avec des passages inutiles, un peu (beaucoup) encyclopédiques et même quand vous aurez l’impression de ne pas pouvoir faire autrement, il faudra bien vous débrouiller. Je me rappelle avoir eu ce problème avec mon roman Faiseur de rêve, quand Nathan tente d’expliquer à Lou à quoi il reconnaît que les ombres les menaçant débarquent de 39-45. Il se rend bêtement compte qu’il parle comme une encyclo et ça se prêtait parfaitement au personnage.

Faiseur de rêve“— Des militaires. Ils portent l’uniforme allemand. Vareuse gris clair au col bleu foncé, pantalon couleur pierre pour le premier type, décrit-il. Il s’agit d’une tenue de combat. Je pencherais pour celle d’un Unteroffizier, un sergent-chef si vous préférez. Première Guerre mondiale, peut-être. Non, attendez, je dis une bêtise. Plutôt 1939. Une évolution de 14-18. Régiment d’infanterie, armée de terre. Qu’ajouter hormis que le premier est armé d’un Luger, première arme semi-automatique de l’Histoire ? Dénomination P -08 calibre neuf millimètres, huit cartouches, portée de cinquante mètres, vingt coups par minute. Son nom, Parabellum, vient de la célèbre devise latine « Si vis pacem, para bellum », « Si tu veux la paix, prépare-toi à la guerre ».

Nathan adressa un regard à Lou par-dessus son épaule.

— Gai, n’est-ce pas ? Et je parle comme une encyclopédie en plus.”

Faiseur de rêve – autoédition – ePub et mobi.

Ceci pour dire qu’il existe des astuces pour contourner le problème et que je ne doute pas de vos capacités sur ce point. Se rendre compte de ce qui va et ce qui ne va pas est toujours plus aisé sur une œuvre terminée, donc une fois de plus, ne vous mettez pas la pression au cours du premier jet. Il n’a pas vocation à être parfait.

LES DIFFICULTÉS LIÉES À L’ÉCRITURE HISTORIQUE

Dans ce paragraphe, je vais surtout parler de mon expérience. J’écris du gothique depuis quelques années, maintenant, et la principale difficulté, avec un texte historique, ne réside pas dans l’écriture, mais dans l’immersion. Celle du lecteur autant que de l’auteur.

LA DOCUMENTATION AU SERVICE DE L’IMMERSION

Un texte, quel qu’il soit, rate son coup s’il n’immerge pas complètement le lecteur ; de même que l’auteur, qui doit s’imprégner de ses codes, mœurs et autre atmosphère pour les retranscrire. Pour un texte historique, c’est pareil.

Comme je l’écrivais plus haut, une documentation fournie et bien préparée vous évitera bon nombre de retours en arrière et de recherches en plein milieu de votre rédaction.

Une bonne immersion jouera essentiellement sur les cinq sens :

  • la vue vous permettra de décrire les bâtiments, les toilettes ;
  • l’ouïe insistera sur l’effervescence d’une ville, les murmures, le fait “d’entendre des voix” ou le silence ;
  • l’odorat fournira des détails sur les parfums, les fluides corporels ;
  • le toucher transcrira l’état d’une surface, des mains, la texture d’un tissu ;
  • le goût témoignera de la qualité d’un plat, de spécialités culinaires.

Je ne dis pas que chaque scène d’absolument chaque manuscrit doit réunir ces cinq conditions pour immerger le lecteur. Parfois, un ou deux sens suffisent ; tout dépend du passage que vous décrivez. Un personnage enfermé dans un minuscule espace clos et sans fenêtre sera privé de la vue, du goût et peut-être de l’odorat. Ce sera donc le moment ou jamais de miser sur l’ouïe, intéressant dans une scène de tension, par exemple.

LES BÂTIMENTS SONT AUSSI DES PERSONNAGES

Gardez à l’esprit, pendant la phase de documentation, puis celle de l’écriture, que les bâtiments et les paysages constituent des personnages à part entière. Ils possèdent un passif, une histoire, ils ont vécu des choses : guerres, cérémonies, reconstructions… Ils ne sont pas figés dans le temps ni dans l’espace. (Si je prends l’exemple du Théâtre du Globe, à Londres, son emplacement actuel diffère de celui des débuts, suite à un incendie.)

Pensez à les faire intervenir, interagir avec vos personnages humains. Racontez les époques qu’ils ont traversées, les secrets de famille qu’ils renferment, décrivez les âmes qu’ils abritent… Donnez-leur un nouveau souffle, une seconde jeunesse. Votre texte entier doit respirer un temps passé, mais ça ne le rend pas moins vivant pour autant.

Judith gravit les marches un peu abîmées et entra. Une odeur de renfermé lui piqua le nez. Un nuage de poussière l’accueillit. Elle plissa les narines. Des tapis jonchaient le sol. La flamme des bougies dans le chandelier dansait sur les cloisons couvertes de tentures. Judith passa sous la voûte au-delà de laquelle s’étendait le reste du hall. Sur la gauche, l’escalier courait le long du mur, se cassant en angle droit à mi-hauteur. Sa rampe sculptée était un pur chef-d’œuvre d’artisanat, de même que les tableaux qui décoraient le mur. À son pied, un siège en cerisier surmonté d’un coussin pâle accompagnait une tablette protégée par un napperon. Une lampe à huile y trônait. Un magnifique lustre en cristal et aux dizaines de bougies auréolait la vaste pièce. Judith ne savait plus où donner de la tête tant cette bâtisse l’émerveillait, mais les ombres projetées sur le mobilier ne manquèrent pas de l’effrayer.

Cœur sommeil – romance gothique – parution le 17 août

LE LANGAGE

Le langage est un épineux problème lorsqu’on écrit de l’historique. Faut-il faire employer à nos personnages des expressions de l’époque en les modernisant ? C’est-à-dire garder l’essence de ce langage, mais de façon contemporaine, sans toucher à ce qui fait d’une expression ce qu’elle est ? Car, disons-le tout net, mettre des mots du XIXème siècle, car ils sonnent “vieillots”, dans la bouche d’un homme du XVème, c’est un sacré anachronisme.

Certes, mais lui faire employer des termes contemporains, n’en est-ce pas un ? Si, mais il aurait alors un intérêt, et pas des moindres : celui de faire comprendre au lecteur du présent un langage du passé.

LE LANGAGE PARLÉ ET CELUI DU NARRATEUR

Si votre narrateur est omniscient, vous aurez surtout à vous soucier du langage parlé. Si, au contraire, votre personnage principal est aussi votre narrateur, il faudra composer avec son caractère, son âge, sa condition sociale, comme n’importe lequel, mais aussi avec sa manière de s’exprimer selon son époque.

Certains auteurs prendront quelques libertés sur ce point, notamment dans un texte pour la jeunesse. J’ai moi-même dû me débrouiller pour un roman jeunesse avec des pirates ; difficile de retranscrire les insultes sans donner dans l’adulte. J’ai donc dû improviser et broder autour de ce que j’avais comme documentation.

 

Avec un peu de technique et beaucoup de documentation, écrire un texte historique n’est pas si compliqué, à condition de s’immerger suffisamment dans l’époque décrite. Au début, l’exercice paraît délicat et impressionnant, je vous l’accorde. La charge de travail n’est clairement pas la même que pour un récit contemporain, bien sûr, mais faire une obsession du boulot qui vous attend ne vous convaincra pas à franchir le cap.

Si vous redoutez l’instant où vous attaquerez votre texte, essayez de rédiger une scène ou deux, une introduction ou racontez une histoire courte. Commencez petit, acclimatez-vous avec l’époque, les costumes, les usages et le contexte. Imaginez un court film et racontez ce que vous voyez dans votre tête, sans pression. Il sera toujours temps de procéder à des ajustements. Enfin, lancez-vous dans votre roman !

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Aude Réco

Je suis autrice dans les genres de l’imaginaire à destination des adultes et des jeunes adultes.

Je suis adepte de méli-mélo temporel, de mondes aux contrées mystérieuses et, surtout, de maisons hantées et d’histoires de fantômes.
J’aime tout ce qui touche au passé et à la mémoire des lieux, aux secrets de famille et vieilles malles poussiéreuses pleines de souvenirs.

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